AU SOIR DU SOUFRE ET DE LA POIX

Il y a, dans la forêt de Hagenthal, un souterrain obscur et terrifiant, dans lequel il faut se garder d'entrer. Ceux qui ont tenté d'en percer les secrets n'en sont jamais revenus vivants.


C'est de cet endroit qu'une fois par l'an sortent des monstres cornus.

Ils dansent sur leurs pieds de bouc, autour d'un char surmonté d'un tonneau sur lequel trône leur roi, coiffé seulement d'un chapeau de raisins et de feuilles de vigne, n'ayant pour tout vêtement qu'une ceinture de pampres.

Il y a des géants cornus barbouillés du jus de la treille.


Il y a aussi des femmes, qui dansent et tourbillonnent à perdre haleine.


Elles brandissent des coupes et boivent plus que de raison. Quand les coupes sont vides, elles les tendent à leur roi qui les remplit d'un bon vin puisé dans son tonneau.


Il y a des enfants, portant aussi cornes et pieds fourchus, qui poussent des cris perçants.

Cette procession arrive dans le village quand sonne dix heures du soir.


Les villageois les entendent de loin, les cornus, et pour ne pas s'attirer leur colère, ils les fêtent à leur manière, en allumant du soufre et de la poix devant les portes et le long des ruisseaux, et en dansant dans les auberges, portes, fenêtres et volets clos.


Personne n'ose mettre le pied dehors cette nuit-là.


On ne quitte les auberges qu'au lever du jour.

Ceux qui restent chez eux ne peuvent dormir, à cause du bruit, et à cause de l'odeur du soufre et de la poix, qui entre par toutes les fentes des maisons, et plane ensuite sur le village pendant des jours.

Ceux qui ont osé suivre le cortège du roi couronné de raisins, on ne les a plus jamais revus...


Et malheur à ceux qui refusent de faire l'offrande du soufre et de la poix !

Le lendemain, ils trouvent leur porte marquée d'un trait noir, et dans l'année, il leur arrive un lourd chagrin, ou une mauvaise récolte, ou la perte d'une vache ou d'un cheval.