LE PUITS DU FLECKENSTEIN

Le baron de Fleckenstein s'était fait construire un superbe château.


Mais ce ne fut qu'après l'inauguration de sa nouvelle demeure qu'il s'avisa d'un léger détail : il n'y avait pas le moindre point d'eau à proximité.


Le baron organisa des livraisons d'eau, mais cela ne faisait pas son affaire. Il rageait et tempêtait.


Un jour, un étranger se présente au château et propose au seigneur de lui creuser un puits. Noiraud, maigre, de gros sourcils, un nez crochu : son apparence n'est pas très engageante. Mais le baron n'y prête guère attention car l'étranger lui garantit qu'il saura creuser un puits qui lui donnera toujours une eau fraîche et abondante.


- Croyez-moi, je connais bien mon métier ! Je suis le meilleur puisatier de la région !


- Vous me comblez, mon ami, mais je suppose que vous ne travaillez pas gratuitement. Que me demanderez-vous en échange ?


- Que me donnerez-vous, si mon travail vous satisfait ?


- Oh ! Tout ce que vous voudrez !


- Alors nous sommes d'accord.



Le mystérieux étranger se met alors à l'ouvrage. Il travaille avec efficacité et rapidité : on jurerait que le sol s'ouvre sous ses pas.

 

Au bout de quelques jours, il s'en va trouver le baron de Fleckenstein pour lui annoncer qu'il a terminé. Le baron va voir le puis et découvre un trou profond, très profond, très très profond, si profond qu'on n'en voit pas le fond.

Le baron n'est pas très convaincu.

 

- Et vous me dites qu'il y a de l'eau là-dedans ?

 

- Absolument, et je vous invite à constater la chose par vous-même ! Vous n'avez qu'à prendre cette lanterne, et descendre dans cette nacelle qui nous conduira jusqu'au fond du puits, et là, je vous montrerai la source.

 

Le baron et le puisatier entrent donc dans la nacelle que les serviteurs du baron font descendre avec de longues cordes.

 

Profond... Encore plus profond... De plus en plus profond...

Mais, au fur et mesure de la descente, le baron constate qu'il fait de plus en plus chaud.

Il regarde attentivement son compagnon, et constate que ses oreilles s'allongent et deviennent de plus en plus pointues; que son sourire devient de plus en plus sinistre; que ses pieds se sont changés en sabots de bouc !


Tout en bas du gouffre, ce n'est pas une source d'eau qui apparaît, mais la lueur rougeoyante des flammes !


Le baron réalise alors qui est son mystérieux visiteur, mais il ne perd pas son sang-froid.


Il s'empresse de joindre les mains, recommande son âme à Dieu, et commence à  réciter ses prières.

Furieux, le diable (car c'était évidemment lui) saute hors de la nacelle pour disparaître dans les flammes de l'enfer.

Le baron n'a plus qu'à crier pour commander à ses serviteurs de le remonter hors du trou.

 

Dès qu'il est sorti d'affaire, le baron de Fleckenstein remercie le Tout-Puissant avec ferveur.

Puis, saisi d'une inspiration subite, il fait venir le curé et lui demande de verser le contenu d'une fiole d'eau bénite dans le puits.

 

C'est alors qu'un doux ruissellement se fait entendre, et que le gouffre se remplit peu à peu d'eau fraîche.

 

Le baron de Fleckenstein a enfin eu son puits, mais il paraît que ses cheveux sont devenus tout blancs à la suite de cette aventure !